Le projet

Dans ce roman, vous rencontrez Juliette Keller, Jules, une jeune femme qui, comme beaucoup d’entre nous, se perd parfois dans l’éternel et si. Vivant dans une vie qu’elle qualifie de morne, Jules n’arrive pas à se projeter vers l’avenir et dans l’instant présent. Tout ce qui compte pour elle, c’est le passé et les décisions qu’elle regrette au quotidien. Dans cette histoire, j’évoquerai la santé mentale, et plus particulièrement la dépression.

Mais Juliette Keller, qui se croyait banal, commence à se poser des questions. Des rêves déconcertants et une attaque brutale chamboulent son existence. L’agresseur ? Un parfait inconnu qui, étrangement, connaît son nom. Mais qui veut lui faire du mal, et surtout… Pourquoi ?

Pour moi, cette histoire est également un grand pas. C’est la toute première fois que j’écrivais avec un POV strictement féminin. Ce n’est pas simple, puisque j’ai l’impression de me mettre à nu. Mais c’est également un challenge que j’ai hâte de relever !

Alors… Serez-vous prêt.e.s à vous aventurer au-delà de votre réalité ?

Prologue

La nuit, pluvieuse et sombre, enveloppait Rennes. Chaque goutte s’écrasait avec violence contre le pavé avec une rage invisible. La pluie, implacable, ne montrait aucune envie de répit. Les rares passants assez courageux pour braver ce temps misérable couraient, essayant vainement d’échapper au déluge qui s’abattait sur eux.

Au creux d’une allée sombre, une faible lueur verte se faisait écho dans une flaque d’eau, vestige d’un vieux néon qui éclairait à peine le nom d’un pub irlandais. Le Café des Irlandais n’était pas une adresse pour monsieur tout le monde, non. C’était le refuge des exclus, des rebelles, des gens qui ne vivaient que par leurs propres lois.

Soudain, la porte du bar claqua, faisant fuir un chat terrifié vers un vieux deux-roues abandonné. De l’intérieur, une vague de rires et de musique se déversa dans la ruelle tandis qu’une femme, manifestement éméchée, titubait hors du bar. Elle trébucha sur une flaque d’eau, faillit chuter, mais son ami le rattrapa juste à temps.

— Woooh ! s’exclama la femme en titubant. J’ai bien failli me retrouver par terre. Encore une fois… Je te dois une fière chandelle, vieux !

Un rire, franc et sonore, résonna dans la ruelle étroite. Les deux amis se laissèrent tomber sur le mur de brique, ruisselant de pluie, pour ne pas tomber sous leurs éclats. Ils riaient forts, mais ils s’en fichaient. Après tout, ils étaient dans leur bulle. Et ils ne se souciaient pas des rares passants qui tentaient de traverser leur chemin – leurs têtes baissées pour éviter le déluge qui s’abattait sur la ville – ou des riverains qui tentaient peut-être de trouver le sommeil. Qu’importe. Ils étaient heureux, eux.

L’homme sortit négligemment une cigarette de la poche de sa veste trempée. Il l’alluma d’un geste nonchalant et porta la cigarette à ses lèvres. Après avoir inspiré profondément, offrit une seconde à son amie.

Leurs regards se croisèrent tandis qu’un sourire espiègle illuminait leurs visages. Pendant un moment, ils discutèrent et échangèrent des souvenirs heureux. Finalement, la jeune femme commença à fredonner une mélodie familière, son timbre rauque faisant écho dans la ruelle.

— And you’re to blaaaame, entonna-t-elle avec un sourire malicieux, ooooh you give love a bad name. Ah, Bon Jovi… inégalable. Tu ne trouves pas, Max?

— Tout à fait, vieux, rétorqua Max avec une lueur d’amusement dans les yeux.

Avec un sourire, la femme termina sa chanson avant d’écraser le mégot de sa cigarette contre le sol mouillé. L’éclat rouge de la cigarette s’éteignit en crépitant, vaincu par la pluie qui se déversait sans relâche. La fumée s’éleva en une dernière spirale avant de disparaître dans la nuit.

Puis, dans un élan d’énergie soudain, peut-être stimulé par le souvenir de la mélodie rock, elle se redressa de la paroi de briques contre laquelle elle s’était adossée. Son regard s’était fixé sur la sortie de la ruelle.

— Mais où crois-tu aller aussi rapidement ? lui dit Max. Calme-toi un peu. Il faut savourer ces instants, pas les précipiter.

Max, décidé, retint son amie par l’épaule pour la freiner. La femme vacilla un instant avant de se stabiliser, s’appuyant sur le mur de brique. Elle pivota vers son ami, et un sourire malicieux éclairait son visage.

— Quoi ? Tu veux qu’on retourne là-bas ? Ah ah ! Je l’savais, la petite brune t’a tapé dans l’œil, hein ?
— Non… c’est autre chose. Viens voir par ici.

La femme cligna plusieurs fois des yeux. Elle essaya de ressaisir, l’alcool lui faisait tourner la tête. Ses yeux rougis par l’alcool se dilatèrent, ses pupilles engloutissant la pâle lumière du réverbère à proximité. Elle inspira profondément, sa respiration devenant haletante. Qu’est-ce qu’il lui voulait ?

— Max, qu’est-ce qui se passe ? Tout va bien ? C’est pas encore…

Son pas chancelant la mena vers Max. Elle se pencha vers lui, sa respiration sentant l’alcool soufflant à l’oreille de son ami.

— Ton truc d’intestins, là ? dit-elle. (Sa voix titubante et forte résonnait dans l’étroite ruelle.) Tu sais, je t’ai dit d’aller voir à la pharmacie… Parce que moi, quand je–

Elle fut interrompu par une soudaine convulsion. Un frisson douloureux traversa son corps. Elle vacilla. Instinctivement, elle plaqua sa main sur son abdomen, se pressant contre sa chemise déjà humide. Sous sa paume, elle sentit une chaleur inquiétante, une humidité collante qui se répandait sur son flanc. Ce n’était pas de la pluie. C’était trop chaud. C’était trop épais.

Sa bouche s’ouvrit pour parler, mais seul un gémissement étouffé réussit à s’échapper. Un cri silencieux.

Elle leva ses mains, lentement. Hésitante. Elles tremblaient sous le poids de l’horreur qui dégoulinait entre ses doigts. Du sang. Du sang qui se mêlait à la pluie pour créer une mare d’un rouge profond sur le pavé mouillé. Soudain, une sensation de faiblesse l’envahit. Un étourdissement incontrôlé.

Elle était blessée. Elle venait d’être poignardée par Max, son ami.

— Max ? (Sa voix était rauque, presque inaudible contre le bourdonnement de la pluie sur les pavés.) Qu’est-ce qui… Je ne comprends pas.

Comme si ses jambes avaient perdu toute force, elle s’effondra sur le sol, ses genoux claquant contre le pavé dur et froid. Les dalles glissantes sous lui semblaient tourner. Est-ce que tout ça était vraiment réel ?

Ses cheveux blonds, rendus lourds et brillants par la pluie, collaient à son front. Un frisson glacial parcourait sa colonne vertébrale, comme si son sang avait été remplacé par de la glace. Et ça faisait mal. Bon sang, que ça faisait mal.

Sans un mot, Max essuya le sang de son couteau sur son jean délavé. Il se pencha ensuite vers la femme et prit son menton entre ses doigts. D’un mouvement sec, il la força son regard à croiser le sien.

— C’est ainsi, répondit Max avec calme. C’est nécessaire. Ne le prends pas personnellement.

Et, sans un signe de remords ou de regret, Max glissa de nouveau la lame du couteau dans sa chair. Encore. Et encore. Sans relâche. Les yeux de la jeune femme s’écarquillèrent alors qu’il essayait de comprendre, de donner un sens à la douleur intense qui l’envahissait au fur et à mesure où Max la poignardait. Et, quand le dernier coup trancha sa chair, une plainte sourde échappa de ses lèvres, se perdant dans la pluie.

Un éclair déchira la nuit, illuminant brièvement l’expression dure imprimée sur le visage de Max une dernière fois avant qu’il ne quitte la ruelle.

La femme, blessée, tenta de se redresser, mais son corps semblait étranger. Trop lourd. Trop lent. Trop massif.

Elle essaya de sortir son téléphone de sa poche, mais le laissa échapper sur le sol mouillé. En quelques secondes, l’eau rendit l’appareil inutilisable. Et ses doigts engourdis ne pouvaient rien saisir.

Elle voulut appeler, demander de l’aide. Que quelqu’un vienne. Mais de ses lèvres ne sortit qu’une marée sanguine, brûlant sa gorge.

Elle essaya de compresser sa blessure. Ses mains crispées sur sa plaie, elle chercha désespérément à endiguer le flot de sang qui s’échappait. Tout était hors de son contrôle. Elle était impuissante.

Finalement, la femme cessa de lutter. Elle réalisa que cela ne servait à rien, après tout. C’était trop tard. Elle sentait la vie le quitter peu à peu, chaque battement de son cœur devenant plus faible, plus lent.

Les passants indifférents continuaient de se presser sous la pluie. Personne ne passa à ses côtés. Personne ne remarqua son agonie.

Est-ce que c’était ainsi qu’elle allait mourir ? Seule, dans une ruelle sombre et froide ?

Les minutes s’écoulaient, à la fois interminables et brèves. Implacables. La pluie incessante lavait son sang sur le pavé froid. Il ne fallut pas longtemps pour que la femme ne voie plus rien de cette nuit – pas même les deux silhouettes qui s’engouffrèrent dans la ruelle. Elle ne pouvait plus entendre leurs chuchotements. C’était trop tard, maintenant.

— Je suis désolé, murmura une voix masculine. Je sais que… je sais que c’est dur pour toi.

L’autre silhouette resta silencieuse. Et la femme ne pouvait plus voir qu’elle s’était agenouillée à ses côtés. Elle ne sentait plus ses mains rudes, mais douces, repousser une mèche de ses cheveux humides. Elle ne pouvait pas sentir la pression de sa main qui fermait doucement ses paupières.

— Mais je sais que tu vas t’en sortir, d’accord ? continuait l’inconnu. Tu es courageuse. Tu vas réussir à aller de l’avant. Allez, viens… Avant que quelqu’un ne nous voie.

La pluie tombait ce soir-là.
Et la femme ne pouvait plus entendre cette ombre qui pleurait sa mort.